Par
Byzance1 le
7 Avril 2006 à 20:07
Elle s'était bien gardé de me le dire, l'année de nos retrouvailles.
Bientôt dix-sept ans que je n'avais pas revu son visage d'ange. Elle avait tout gardé de son teint pâle, de ses lèvres naturellement rosées, de ses fossettes parfaites. De vieillies elle n'avait que la taille et les jambes, légèrement alourdies, et sa poitrine, ayant perdu de sa fermeté, trahissait ses deux grossesses consécutives. Mais même ajoutées à de nouvelles rides aux creux de ses yeux, ces marques du temps la rendaient d'autant plus authentique. D'autant plus affirmée dans un rôle qu'elle savait aimer depuis fillette, celui d'épouse et mère. (Ce qui était tout l'inverse de moi !)
La dernière fois que nous avions partagé nos vacances, nous avions quinze ans. Nous faisions ensemble les frais de l'adolescence avec ses angoisses, ses lots de larmes et ses hormones débiles.
C'était en août. Mon premier amant et moi venions de nous quitter douloureusement. J'allais bientôt connaître la solitude et la tristesse profondes et, me raccrochant du mieux que je le pouvais à mon entourage, je fuyais les hommes de mon âge comme la peste. (Il me fallut quelques années pour comprendre que cette rupture était la raison de mon attirance démesurée pour les hommes de plus de trente ans).
Et elle, l'amie tant aimée, le salut sans égal, la voie de la réconciliation entre la vie et moi, elle était en train de s'adonner au plaisir secret d'une vengeance dont je ne soupçonnerai l'existence que ce jour là ; le jour de ces retrouvailles inespérées.
En effet, V. n'avait jamais supporté l'écart avec lequel je me conduisais depuis toujours. Bien que très affectée par un destin tragique, j'étais la plus forte des deux. La vie m'avait depuis longtemps appris que l'audace en société s'acquiert en majeur partie avec l'expérience que l'on fait de la souffrance, et que la lutte pour exister est une lutte quotidienne. Moi, j'avais les armes. Elle la vacuité d'une vie heureuse et limpide dans laquelle elle ne serait jamais que ce que l'on voulait qu'elle soit.
Je suppose aujourd'hui qu'elle n'en a même jamais eu conscience. C'est sûrement pour cette raison que, même après avoir été humiliée, salie, psychiquement meurtrie par sa trahison, je lui pardonnerai toujours son ignorance assassine. (...)
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